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M. Lecoq mit devant lui, sur la table, le passe-port au nom d’Antoine (Jean).

« Bah !… » fit le colonel, avec un étonnement profond.

Puis, après un silence :

« Est-ce que ce bêta de Lambert est ressuscité ?

— Pas lui, patron, mais André Maynotte, l’armurier de Sartène, l’homme au brassard, le mari de votre belle nièce qui vient d’épouser J. B. Schwartz en secondes noces. »

Le vieillard se leva tout inquiet. Il était de grande taille, et son corps étique ballottait dans son costume complètement noir.

« Celui qui habitait, à la prison de Caen, poursuivit tranquillement M. Lecoq, la cellule dont vous aviez scié les barreaux dans le temps, celui qui doit avoir reçu les dernières confidences de Lambert, celui qui sait tout.

— Tout ? » répéta le colonel, dont la taille se voûta de nouveau.

Il souriait.

Il avait les traits aquilins jusqu’à présenter des courbes crochues, le front étroit, mais haut ; le crâne fortement développé par derrière. Sa bouche, déformée par l’absence de dents, donnait cette ligne sénile qui ressemble à une cicatrice. Ses paupières, longues et molles, recouvraient presque entièrement ses yeux, où brillait encore une vivace intelligence. Les vieux soldats sont faciles à reconnaître : il n’y avait rien en lui qui expliquât ce titre de colonel.

« J’ai été cinquante-deux ans dans les affaires, déclara-t-il avec dignité, sans compter les histoires d’Italie, au bon temps. La justice ne m’a cherché querelle qu’une fois, et encore a-t-elle mis les pouces. Les