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L’enfant pouvait avoir dix à douze ans ; c’était une fille. Elle était petite, mais formée, et sa blouse de toile grise, violemment soutachée de rouge, dessinait une adorable taille de femme en miniature. Ses traits aussi avaient seize ans, pour le moins. Ils étaient délicats, gracieux et hardis.

Ce qui frappait surtout, c’était l’audace de deux yeux démesurément grands et brillants, illuminant la pâleur mate de cet étrange visage.

Au baiser envoyé, Fanchette répondit par un de ces gestes provoquants dont abuse l’espièglerie des gamins de Paris.

« J’ai un autre bouquet, dit-elle, gare à toi quand tu vas sortir ! »

Elle disparut. M. Lecoq poussa la porte.

Un vieillard sec, maigre, et dont le visage jauni eût réjoui le regard d’un amateur d’ivoires antiques, était seul dans une très vaste salle à manger. Il trempait avec sensualité de minces mouillettes de pain bis dans un œuf à la coque. Il n’y avait que cela sur la table, couverte d’un tapis de toile cirée.

« Bonjour, colonel, dit M. Lecoq en entrant.

— Ma belle nièce est mariée ? demanda le vieillard au lieu de saluer.

— Le mariage est fait et parfait, » répliqua M. Lecoq.

Le colonel hocha la tête en signe de satisfaction.

« Joli jeune homme ! murmura-t-il. Et nous le tenons bien, hé ! L’Amitié ?

— Il y a du nouveau, dit M. Lecoq. Avez-vous fini votre déjeuner ? »

Le vieillard repoussa son coquetier.

« J’ai donné ma démission, répliqua-t-il en prenant un air de défiance. Si c’est pour affaires, adresse-toi au bureau. »