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André avait une frayeur, faut-il dire superstitieuse ? de cette condamnation prononcée par sa propre bouche contre ceux qui haïssent. Sa haine était juste, sa vengeance était légitime ; mais devant Dieu, auteur de la prière, il n’y a point de juste haine ni de légitime vengeance.

Selon la loi de Dieu, le pardon est un rigoureux devoir.

André s’interrogeait. Il avait demandé au ciel le talion ; il avait dit : « Ayez la même pitié que moi. » Et quelle pitié, si par hasard il eût trouvé en sortant, sur les degrés de l’église, l’homme qui avait pris tout son bonheur ?

Si l’Habit-Noir, si Toulonnais-l’Amitié, car il n’avait que ces bizarres dénominations pour désigner l’objet de sa haine, s’était présenté à lui tout à coup et qu’une voix révélatrice eût crié à son oreille : « Le voilà ! »

Il n’est personne parmi les chrétiens croyants, et André avait apporté de Corse un fond de foi robuste, il n’est personne qui n’ait parlementé ainsi une fois en sa vie avec la Providence, discuté, marchandé pour ainsi dire et posé ses conditions. En Bretagne, les naïfs pèlerins disent à la bonne sainte Anne d’Auray : « Si tu fais ceci, je ferai cela. » C’est un marché. Pourquoi non ? Dieu, plus clément que la philosophie, ne va pas chercher l’impiété dans ces simplesses du cœur.

André Maynotte, profondément absorbé dans sa méditation, docile aux conseils de la prière, mais plaidant pour son droit humain, n’était pas un impie. Il écoutait Dieu avec la candeur de la force, et sa passion soutenait ce débat. Jacob aussi lutta contre le Seigneur.

Son front était mouillé, sa joue pâle ; il ne voyait rien de ce qui était autour de lui. Dieu le tenait, si