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Il n’osait plus. Son malaise avait désormais un nom dans sa conscience et s’appelait pressentiment. Il voyait grandir en lui un effroi qui était déjà de la folie et sentait sur sa tête la menace d’un affreux malheur.

Quel malheur ? N’était-il pas meurtri assez par les coups du sort ? Que pouvait-il craindre et quelle souffrance nouvelle pouvait s’ajouter à son martyre ?

Quand onze heures sonnèrent à l’horloge de Saint-Roch, il les compta machinalement des marches de l’autel de la vierge, où il s’agenouillait. Il était entré sans trop savoir ; sans trop savoir, il avait remonté toute la nef, de la grand’porte à l’abside, et il était là, priant, et peut-être ne savait-il pas bien qu’il priait.

Ce fut un réveil ; il joignit ses deux mains, et son cœur s’éleva vers Dieu ardemment. La prière des enfants, l’admirable prière, plus grande que l’homme, la prière contenant ces mots, adressés à Notre Père qui est aux Cieux : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, » tomba de ses lèvres.

Et quand il eut prononcé ces mots, il ne pria plus, il réfléchit.

Il y avait un homme à qui il ne pouvait pas pardonner.

Un inconnu, c’est vrai ; mais il avait juré en lui-même d’employer, s’il le fallait, sa vie entière à le connaître.

Pourquoi ? pour se venger.

Cette prière miraculeuse n’admet pas la vengeance. Elle se retourne contre ceux qui veulent se venger. Ceux qui veulent se venger prononcent, en la récitant, leur propre condamnation. André, agenouillé, la tête entre ses deux mains, songeait ainsi.

Et il y avait en lui quelque chose de plus fort encore que la vengeance, c’était l’amour.