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douce et dominait les grasses prairies de l’Orne. Il dit encore d’une voix tremblante :

« Ce fut par là… »

Un tilbury franchit le pont, le tilbury de M. Granger, attelé d’un cheval noir qui galopait comme un tourbillon. Le tilbury contenait un jeune couple : des amoureux ; l’étranger tourna court et se perdit dans un nuage de poussière sur la route de Vire.

Il s’assit et appuya sa tête contre ses mains.

« Black ! » murmura-t-il.

Deux larmes roulèrent sur ses joues.

À une lieue et demie de Caen, dans les terres, sur la droite de la route d’Alençon, il y avait un petit bien, enclavé entre les territoires de deux ou trois puissantes métairies.

La maison exiguë, mais proprette, ouvrait sa porte toute grande sur le chemin vicinal, dont elle n’était séparée que par une haie d’aubépine, ébréchée largement. À droite et à gauche, le jardin montrait ses carrés de légumes bien cultivés, derrière un rideau éclatant de roses trémières en pleine fleur. Par derrière, on voyait les pommiers trapus du verger qui pliaient sous les riches faix de leurs fruits.

Deux pieds de vigne et un rosier, tous trois à haute tige, décoraient la façade de la maison, protégés avec soin par un vêtement de planchettes, depuis le sol jusqu’au toit. Le rosier formait un gros bouquet entre les deux fenêtres, et chacun des pieds de vigne supportait une véritable guirlande de verjus aux grappes énormes.

C’était le logis de Madeleine, la nourrice. En Normandie, le paysan qui possède un bien, si petit qu’il soit, est riche, pourvu que son étoile lui ait donné une bonne ménagère, et Madeleine était une ménagère modèle. Mieux vaut ne pas trop fêter le cidre, assurément ;