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Le bonhomme ferma les poings et enfla ses joues.

« Angliche ! s’écria-t-il. Savoyard d’Angliche ! il m’a laissé aller jusqu’au bout et j’ai causé pour le roi de Prusse ! »

Il s’éloigna tout en colère.

L’étranger resta seul sur la place, toujours immobile et la tête penchée.

Le jour qui se faisait peu à peu passa sous les vastes bords de son chapeau, éclairant une figure pâle et tristement fatiguée. Il y avait beaucoup de gens dans la bonne ville de Caen qui, à l’aspect de cette figure, se fussent demandé : Où donc l’avons-nous vue déjà ? Mais à cette question bien peu auraient pu répondre, car chacun eût perdu son temps à interroger des souvenirs lointains, négligeant la mémoire d’hier où était justement le mot de l’énigme.

On est habitué à mesurer le temps par les transformations qu’il opère ; c’est là un instrument précis, qui trompe rarement. Quand la transformation est trop vite opérée, au gré de l’expérience commune, les gens s’étonnent et ne savent plus.

D’ailleurs, André Maynotte était mort noyé ; on avait retrouvé son corps sur les grèves de la Divette.

L’étranger tenait ses genoux dans ses deux mains jointes. Il regardait droit devant lui.

Les derniers tilleuls de la place se perdaient pour lui dans la brume, qui voilait presque complètement les maisons. C’était sur ces maisons, pourtant, que se fixait le regard de l’étranger, sur l’une au moins ; on eût dit qu’il la voyait au travers du brouillard.

Il songeait profondément, et parfois ses lèvres blêmes s’agitaient avec lenteur, prononçant des paroles qui n’appartenaient pas à la langue anglaise.

Il disait : C’était là ! mon Dieu ! mon Dieu !