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la pointe de cette épingle, — super hanc petram, — bâtissant son église dorée. Mon cœur reste froid, je l’avoue, à ces chères ferveurs de l’économie, mais je comprends toutes les religions.

Dans cent francs, combien d’épingles ! chaque grain de blé, vous ne l’ignorez pas, renferme en son humble enveloppe le miracle de la multiplication des pains ; les centimes germent aussi, quand on les sème, quand on les fume, quand on les sarcle, et la moisson qu’ils donnent avec les soins et le temps s’appelle million.

J.-B. Schwartz n’avait jamais eu cent francs. S’il avait eu cent francs, J.-B. Schwartz eût monté une maison de banque dans un grenier. On naît poète ; J.-B. Schwartz avait apporté en naissant le sens exquis du bordereau, le génie du compte de retour.

Il eut un éblouissement, car la mauvaise eau-de-vie d’auberge fermentait avec l’ambition dans sa tête, et les trois bouteilles de vin âcre attisaient en lui le feu sacré ; il vit passer à perte de vue je ne sais quel mirage : de grands bureaux où l’on marchait sur des tapis, des commis derrière des grillages, des registres verts, à titres rouges, hauts, épais et gros, chargés à l’intérieur d’écriture anglaise et de chiffres miraculeusement alignés, une caisse de métal, une caisse damasquinée, imposante comme l’arche, des garçons de recette en livrée grise, et peut-être, dans une voiture à quatre chevaux, Mme J.-B. Schwartz empanachée plus noblement que deux ou trois enterrements de première classe.

Cent francs ! cent francs contiennent tout cela, plus que tout cela. Le chêne énorme est dans le petit gland, et c’est un grain de sable qui précipite l’immensité de l’avalanche.

« Je ne veux pas ! » répéta pourtant sa vertu expirante.