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On dit que certains objets sautent aux yeux ; il y a des choses qui sautent à la mémoire. Au détour de la rue Froide, la mémoire d’André lui cria tout à coup ces banales paroles qui avaient l’importance d’une formule cabalistique :

« Fera-t-il jour demain ? »

Lambert lui avait promis l’histoire de Fera-t-il jour demain ? histoire que lui, André, pouvait rattacher déjà à la plus importante de ses aventures de jeunesse, au fait qui lui avait laissé les plus vivants souvenirs. Mais Lambert n’avait pas eu le temps de la lui raconter.

Lambert lui avait promis bien d’autres choses.

Je ne peux pas dire comme André regrettait Lambert.

Car son idée fixe se réveillait en lui violemment dès ce premier quart d’heure de liberté ; il devinait que ce serait la passion de toute sa vie, à voir comme elle se mêlait étroitement, cette idée, au seul sentiment qu’il eût dans le cœur : son amour pour Julie.

Lambert s’était chargé de faire la lumière sur cette route, au bout de laquelle était son démon, l’homme qui ne laissait rien derrière lui, l’homme qui passait toujours impuni en jetant une proie à la justice, l’inventeur machiavélique d’une assurance contre les dangers du vol et du meurtre, — le sauvage, habile à cacher sa trace comme un Huron des forêts vierges, au beau milieu de notre civilisation, — l’Habit-Noir, — Toulonnais-l’Amitié…

Un sobriquet appartenant à plusieurs, un faux nom appartenant à celui qui avait des douzaines de noms !

Rien, en un mot, ou presque rien ! Et le cabaretier Lambert était mort, emportant son secret tout entier !

André s’arrêta en face de l’église Saint-Pierre. Ici,