Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome I.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la guillotine soutenait tous les courages. Les vrais musulmans ne sentent pas la fatigue tant que dure le pèlerinage de la Mecque.

Tout le long de son chemin, André n’entendait que ce mot : guillotine, guillotine, guillotine. En Normandie, nous avons une façon amoureuse de prononcer cela ; nous disons : gueillotaine, c’est joyeux et caressant.

Peut-on penser sans chagrin à la déception qui attendait tant de vertueux villageois ? Tel bon père amenait sa jeune famille par six lieues de bas chemins ; tel jeune métayer bien épris voiturait sa métayère en exécution d’une promesse faite le jour du mariage.

Et le cadeau de noces allait manquer ! Et ces enfants allaient verser des larmes devant un mécompte immérité. Injuste sort ! Tant de chemin gaspillé ; et quand, désormais, reverrait-on fleurir la guillotine ?

À mesure qu’il s’éloignait du quartier de la prison, André hâtait le pas. Un grand trouble était maintenant dans son esprit. Il n’avait point préparé cette aventure ; tout plan lui faisait défaut ; il essayait de mettre de l’ordre dans ses idées et ne pouvait pas.

Sans savoir, il s’était dirigé d’abord vers la ville basse et le pont de Vaucelles ; c’était par là, d’ordinaire, qu’autrefois il sortait de Caen pour promener Julie, de l’autre côté de l’Orne, en face des prairies de Louvigny ; mais il se souvint vaguement de l’itinéraire tracé par le cabaretier : la route de Pont-l’Évêque.

Il rebroussa chemin d’instinct en ayant soin de faire un large circuit autour du Palais, et gagna les abords de l’église Saint-Pierre. Il était dans la peau de Lambert, il sentait cela d’une façon confuse, mais persistante. La protection occulte qui entourait l’assassin, affilié à de mystérieuses confréries, lui appartenait au moins pour une nuit.