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nait droit et doux, les yeux grands ouverts, au milieu des bêtes lancées par le belluaire. Le destin est un lion qui parfois reconnaît son maître et respecte l’héroïsme du fort.

André lâcha le drap qui seul le défendait contre les entraînements du gouffre ; mais ce fut pour se redresser, non pour tomber. Un instant, il se tint en équilibre, préparant son cœur contre la défaillance de la terrible traversée, assouplissant ses muscles contre la violence du choc. Il eut le temps de faire le signe de la croix.

Ce n’était pas un suicide.

Il ne s’affaissa point, il sauta, délibérément, l’esprit présent, les membres libres, la conscience gardant un espoir.

On dit que ceux qui sont ainsi précipités de haut meurent avant de toucher le sol. Quand un désespéré enjambe, par exemple, la balustrade de Notre-Dame, ce n’est plus qu’un cadavre qui fend l’air et qui vient se broyer contre le pavé.

On dit cela. On dit beaucoup de choses, et la science aime à ratiociner gravement, assise sur ce fauteuil aux quatre pieds d’argile qu’on nomme l’hypothèse.

J’ai connu, quand j’étais enfant, un noble et beau vieillard, compagnon de La Rochejaquelein : j’entends le La Rochejaquelein d’autrefois, qui disait : « Si je recule, tuez-moi. » Il se nommait le comte du Plessis de Grénédan. Au temps de sa jeunesse, il s’était trouvé une fois, lui troisième, prisonnier de la république au château de Saumur, un fier donjon dont les créneaux sont à quatre-vingts pieds de l’herbe.

Une nuit, les trois prisonniers tirèrent au sort à qui sauterait le premier. Le comte du Plessis de Grénédan eut le numéro deux. Le premier sauta et se tua raide ;