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d’autre part, l’exemplaire sobriété de notre pauvre ami lui faisait une tête plus faible que celle d’une fillette. À mesure que le festin à quatre francs suivait son cours fastueux, ajoutant le bœuf à la mode au fricandeau et l’omelette au bœuf, à la mode, J.-B. Schwartz sentait naître en lui une chaleur inusitée ; il devenait un mâle, parbleu ! et se surprenait à envier les hardiesses de M. Lecoq.

Dans ce petit monde des employés parisiens où J.-B. Schwartz avait vécu déjà quelques mois, Lecoq n’avait pas la meilleure de toutes les réputations ; on ne connaissait bien ni ses antécédents, ni ses accointances ; il courait même sur lui des bruits fâcheux et assez graves, mais aucun fait n’était prouvé et l’envie s’attache toujours aux vainqueurs. Lecoq était un vainqueur : cinq mille francs d’appointements, ses commissions et voiture ! Il n’y avait pas, en 1825, beaucoup de commis-voyageurs arrivés à ce faîte des prospérités. J.-B. Schwartz le regardait d’en bas humblement, respectueusement ; chaque verre de vin normand ajoutait à la somme de ses admirations. Au dessert, si l’on eût mis d’un côté toutes les joies de ce Lecoq, de l’autre toutes les vertus d’Alsace, je ne sais pas si la conscience de J.-B. Schwartz eût versé à droite ou à gauche.

Il était honnête, pourtant, je l’affirme, en ce sens qu’il ne vous eût pas trompé d’un centime sur une facture faite : reste à savoir comme on fait la facture.

Le fromage était sur la table, ainsi que les quatre coudes de nos deux amis, et ils causaient.

« C’est une femme mariée, disait ce don Juan de Lecoq. Tu comprends, Jean-Baptiste, à nos âges, on n’est pas de bois… »

Et J.-B. Schwartz fit un signe d’assentiment, le lâche !