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Le réquisitoire a vivement impressionné le jury, dont la conviction me paraît faite. L’éloquence de l’avocat général a groupé les probabilités de telle façon qu’une certitude en jaillit : je suis perdu, je le sais ; mon espoir est ailleurs désormais.

M. Cotentin a fait de l’effet.

Dieu est avare de miracles, et il faudrait un miracle pour me sauver.

10 août, au soir. — Ce matin, Louis m’a annoncé que le pourvoi du voisin était rejeté.

À quatre heures j’ai été condamné.

Je suis comme si je rêvais. J’ai été condamné à vingt ans de travaux forcés.

Il est sept heures du soir. Voilà deux heures que je suis rentré et que j’essaye d’écrire cette ligne.

Ce qui m’empêche d’écrire, ce n’est point la souffrance. Je ne souffre pas plus aujourd’hui qu’hier. Mais j’ai comme un cauchemar. Je vois quelqu’un entre toi et moi. Si je devenais fou, ma folie serait de croire que notre ennemi t’aime.

Comme tout s’expliquerait, alors !…


Ce fut le dernier mot. La plume demeura immobile et suspendue au-dessus du papier. L’encre eut le temps d’y sécher.

André Maynotte, pâle, amaigri, défait, avait la tête penchée sur sa poitrine. Ses yeux ardents regardaient le vide. La lueur du couchant qui venait d’en haut par la lucarne frappait sa chevelure en désordre, éclairant parmi des masses d’un noir de jais quelques fils révoltés et crispés qui semblaient être de cristal.