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29 juillet au soir. — Le voisin est condamné à mort.

1er août. — Il a travaillé cette nuit plus longtemps et plus fort qu’à l’ordinaire. Qu’espère-t-il ? La prison a un cachot spécial pour les condamnés à mort.

M. Cotentin est venu me dire qu’il avait produit beaucoup d’effet dans cette affaire du cabaretier Lambert. Il interjette appel en cassation. Je suis plus abattu, et quand je te vois, Julie, tu n’as plus ton sourire. Je prie Dieu ardemment ; il me semble que je devine les heures où tu pries toi-même, car je sens alors la chaleur qui revient à mon cœur.

J’ai donné à Louis des lettres pour toi. Elles sont adressées à Londres et ne te parviendront pas, mais il fallait égarer ses soupçons. Déjà, plusieurs fois, il m’avait demandé ce que je faisais de mon papier. Celle-ci, ma femme bien aimée, la vraie lettre, quand donc la mouilleras-tu de tes larmes ?

Je fais de mon mieux pour qu’elle ne soit pas trop triste. Ah ! s’ils voulaient m’acquitter, que de joie !

4 août. — Je suis seul ! je suis seul ! Louis a un congé : c’était presque un ami. M. Roland n’a plus affaire à moi : qui expliquera cela ? je m’étais pris à l’aimer. Enfin, M. Cotentin n’est pas venu depuis trois jours. Je suis seul. J’écoute ce condamné qui travaille et qui chante. Il m’arrive de croire, tant son œuvre est sourde, qu’il use la pierre avec ses ongles. Serait-ce mon devoir de le dénoncer ? En aurais-je seulement le droit ? Je ne sais.

Je t’ai vue, cette nuit, dans le rayon de soleil qui passait entre les branches, là-bas, sous la futaie de Bourguebus. Pauvre dernier repas ! Lequel était le plus beau de ton sourire ou de tes larmes ?

Je suis avec toi toujours ; mais la plume me tombe des mains. J’ai trop de tristesse.