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Il m’eût semblé mal séant de dire à ce gros petit homme tout l’amour que j’ai pour toi.

« Voilà des mœurs ! grommela-t-il enlevant les yeux au ciel. À votre âge ! »

Puis, prenant un air régence qui lui allait à ravir :

« Ah ça ! cette belle petite Mme Maynotte avait donc bien bonne envie d’être une grande dame ?

M. Cotentin de la Lourdeville, lui dis-je sèchement, il ne s’agit ici que de moi. Je suis innocent, comprenez bien cela, et de plus honnête homme. Je ne veux pas être défendu au moyen d’alibis boiteux ou autres demi-preuves. Il me faut pour appui la vérité, il ne me faut que la vérité. »

Il m’adressa en signe de tête protecteur et répondit :

« Eh bien ! mon brave garçon, déboutonnons-nous. Je ne serais pas fâché de savoir un peu comment vous entendez être défendu, dans votre petite idée. »

Je songe maintenant à des choses qui jamais ne s’étaient approchées de mon intelligence. La captivité a dû faire des philosophes. Hier encore, malgré les souvenirs de mon éducation chrétienne, je ne distinguais pas nettement la Providence de la fatalité. Aujourd’hui, la fatalité me fait peur et je tends mes deux mains jointes vers la Providence ; car, séparés que nous sommes, Julie, par l’espace et par l’erreur, elle nous réunit tous deux sous son regard éternel.

Et, cependant, je crois de plus en plus à cette fatalité qui m’effraye. La menace de ce terrible malheur a toujours été sur moi. Tout enfant, je frissonnais à la vue d’une prison ; ce que j’écoutais le mieux parmi les récits de mon père, c’était l’histoire de Martin Pietri, notre grand oncle maternel qui mourut à Bastia, sur l’échafaud, en prenant Dieu à témoin de son innocence. Quand il fut mort et bien mort, on trouva chez un