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chantent tous, et puis ça et ça… Avons-nous un alibi ? »

J’ouvris la bouche pour répondre, mais il me la ferma d’un geste bienveillant :

« Alibi est un mot latin qui signifie autre ici, ou ailleurs, si vous le préférez. Vous avez tous des alibis ; voyons le vôtre ou les vôtres.

— J’ai passé la nuit chez moi, » glissai-je pendant qu’il reprenait haleine.

Il examina ma couverture, l’épousseta légèrement de trois ou quatre coups de badine et s’assit sur le pied de mon lit.

« Farceur ! murmura-t-il. En petit jeune homme bien tranquille !… Et qui prouvera que vous avez passé la nuit chez vous ?

— C’est à l’accusation de prouver le contraire, ce me semble. »

Il enfla ses joues et assura ses lunettes d’un petit coup de doigt gracieux. Je n’avais pas d’abord remarqué ses lunettes, tant elles faisaient étroitement partie de lui-même.

« Farceur ! farceur ! répéta-t-il. Tous, les mêmes ! Ils couchent avec leur Code !… Quant à l’accusation, elle se porte bien, vous savez ? Si j’étais juré, moi je vous condamnerais les yeux bandés.

— Si telle est votre opinion… commençai-je.

— Mon garçon, m’interrompit-il, l’avocat exerce un sacerdoce. La veuve et l’orphelin, vous savez ? Ça et ça. Parlons raison. À votre âge, vous ne connaissez pas, dans toute la ville de Caen, quelque petite dame qui aurait été ou qui aurait pu être votre bonne amie et chez qui vous auriez pu passer la nuit en question ?

— Non, » répondis-je seulement.