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fond de cet abîme, devant un torrent qui me sépare du saut. Cette idée, qui est la vérité, cette révélation plutôt, car elle a l’autorité de ce qui vient d’en haut, cette idée est la planche à l’aide de laquelle je traverserais le gouffre. À nous deux, nous pourrions la soulever.

L’esprit s’effraye : c’est l’étude appliquée au mal, le perfectionnement scientifique de la perversité, la philosophie du crime. Et quoi de plus simple ? C’est élémentaire comme toutes les grandes inventions. Deux coups au lieu d’un, voilà tout, et l’assurance contre la justice est instituée. Un coup en avant pour le profit, un coup en arrière pour la sécurité. La comptabilité criminelle a ainsi sa partie double, la victime d’un côté, le coupable de l’autre, l’avoir et le doit, le crédit et le débit. L’autre méthode était l’enfance de l’art.

J’ai conscience de raisonner froidement, mais tous les aliénés sont dans le même cas : voilà l’angoisse.

19 juillet. — M. Roland me regarde comme un scélérat très habile. J’ai parlé, j’ai eu tort. Il m’applique à moi-même tout ce que je disais naguère des malfaiteurs philosophes.

Il y a un côté artiste dans le juge. Ceux qui sont connaisseurs ne peuvent manquer d’être amateurs. M. Roland a souri en me disant : c’est un système de défense très curieux.

Il m’étudie avec un certain plaisir.

L’instruction ne pouvait être bien longue, en présence des éléments qu’elle possède. Le brassard tout seul peut passer pour une évidence, et j’ai lieu de croire qu’il y a contre moi des témoignages accablants. Aujourd’hui, M. Roland m’a dit que je serais jugé à la session qui va s’ouvrir dans quelques jours.

Demain ou après demain, je connaîtrai l’acte d’accu-