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entre par ma fenêtre grillée. Bonté du sauveur ! tu aimais ce parfum et tu sortais sur la porte de notre maison pour voir les gouttelettes briller au feuillage des tilleuls. Pleut-il où tu es ? et cela te fait-il penser à moi ? Je souffre.

14 juillet. — Je ne crois pas avoir été en danger de mort, mais la maladie m’a cloué sur mon lit. Le médecin de la prison est venu me voir jusqu’à trois fois le jour. M. Roland m’a témoigné de l’intérêt. — Mais il me croit coupable. C’est désormais chez lui une foi robuste, comme celle du chrétien à la loi divine. Le doute lui semblerait monstrueux ; il a peur de douter.

Je me suis levé aujourd’hui pour la première fois. Pendant ma fièvre, j’entendais mieux ce bruit sourd qui vient de la cellule voisine.

Il n’est pas difficile de faire parler ce bon Louis. L’hôte de la cellule voisine est le nommé Lambert, cabaretier, impasse Saint-Claude, qui est accusé d’assassinat et qui doit être jugé à la prochaine session, comme moi.

Je crois qu’il est de ces instants de fièvre où l’esprit est plus lucide. C’est là quelquefois, j’en suis sûr, ce que les spectateurs froids appellent le délire. Ce n’est pourtant pas la fièvre qui donne ces idées, mais elle les couve et les développe.

À la suite d’un de mes derniers interrogatoires, j’avais eu comme une vague perception de ce fait qu’un homme hardi pouvait exploiter cette fatalité judiciaire : il faut un coupable, résumée et complétée par l’axiome : il ne faut qu’un coupable. Je ne saurais me rappeler ni dire quelle parole de M. Roland avait fait naître en moi cette idée. — Si fait pourtant ! M. Roland avait prononcé ces mots ou quelque chose d’analogue avec une dédaigneuse pitié :