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je les donnerais joyeusement, et avec eux une palette de mon sang ! Mais j’ai fait la sourde oreille. Je subirai jusqu’au bout ce supplice de Tantale. Une imprudence pourrait les mettre sur ta trace. — L’Habit-Noir entretenait une correspondance suivie avec des personnes comme il faut.

Mes interrogatoires roulent dans un cercle ; M. Roland ne sort pas de la fiction qu’il a adoptée. Je ne dis pas qu’il l’ait créée, note bien cela, car mon estime pour son caractère grandit, et il est certain qu’il subit la fatale pression des apparences ; il les groupe, il les consolide, il les appuie, et quand elles présentent quelques lacunes, il s’efforce de faire une reprise à ce tissu troué. Il y a des heures où je vois cela sans passion. Chaque art a son entraînement, et ceci est un art.

Il y a aussi des heures où je suis pris d’un amer dédain pour notre misérable nature. Qu’y a-t-il au monde de plus grand que la société elle-même, de plus haut montés que les hommes qui la gardent ? Que respecter ici bas, si l’on découvre tout-à-coup des défaillances dans la loi ? Dieu reste, il est vrai ! Dieu ! l’éternelle promesse, auprès de qui, hommes et choses ne sont que poussière…

Mais je suis triste, mais je prie mal ; j’avais besoin de toi pour prier bien.

Ce n’est peut-être qu’un moment, et demain j’aurai mon courage.

5 juillet. — Je n’ai rien écrit hier. Je t’ai dit tout. Il n’y a de nouveau que ma fièvre. On m’a envoyé un médecin. Le médecin a commandé qu’on me donnât du vin de Bordeaux et des viandes rôties. Louis est jaloux de moi. Je n’ai ni soif ni faim.

Il a fait de la pluie, ce matin, et j’ai senti l’odeur lointaine des arbres mouillés, car c’est l’air libre qui