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hors de laquelle, pour le jeter, il eût fallu un miracle.

Ce fut une soirée cruelle, une nuit lente. Dormais-tu ?

Vers trois heures après minuit, quelques instants après le passage de la dernière ronde, un bruit sourd commença de se faire quelque part autour de moi : je n’aurais pas su dire si c’était à droite, à gauche ou à l’étage inférieur. C’était, je crus le deviner, un travail de prisonnier minant la pierre de taille de sa cellule, œuvre lente et patiente. Cela s’arrêtait par intervalles, pour reprendre et s’arrêter encore.

J’écoutais ; ce bruit me berçait. Je m’endormis comme autrefois je m’éveillais ; j’allai à ta voix qui m’appelait ; ton sourire sortit de l’ombre et tout l’essaim de mes pauvres bonheurs voltigea autour de mon sommeil.

Louis m’apporta ma soupe : un garçon de bonne humeur qui sait toutes les chansons à boire et qui les chante sur des airs de psaumes. Il lui est défendu de me parler ; aussi m’a-t-il raconté une demi-douzaine d’histoires qui ont eu pour lieu de scène la cellule même où je suis. Cette cellule, selon lui, a logé bien des victimes innocentes : des guillotinés, des forçats, pauvres bibis ! c’est son mot. Il m’appelle Bibi et me chante : Remplis ton verre vide, sur l’air du Magnificat,

La cellule a aussi logé un personnage légendaire sur le compte de qui Louis ne s’explique pas. L’Habit-Noir, tel est le sobriquet que Louis donne à cet homme qui dépensait, dit-il, bien de l’argent dans son trou et qui fut acquitté, faute de preuves. Te souviens-tu qu’on nommait ainsi, chez nous : Veste nere — les-Habits-Noirs, — les faux moines du couvent de la Merci ?