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mon découragement, la première lueur qui brilla, ce fut toi. Je me dis :

« À cette heure, elle est à Paris ! Elle est sauvée ! »

Et je me mis à bâtir un château dans l’avenir.

J’ai relaté mon premier interrogatoire tel qu’il fut et aussi complètement que mon souvenir me le rappelle, parce que je ne veux pas y revenir. Tous les autres furent à peu près semblables, sauf des détails que je noterai. Ce qui me resta de cet interrogatoire, ce fut le sentiment, la saveur, si j’osais m’exprimer ainsi, de ma perte. Mon affaire se posait sous un certain jour qui déplaçait si fatalement l’évidence, que tous mes efforts devaient être inutiles. J’avais conscience de cela ; je l’avais eue, du reste, avant la fuite et dès le premier moment. La ferme incrédulité de mon juge me sautait aux yeux avec une navrante énergie. Ce que je disais n’existait pas pour lui. Mes prétendus mensonges n’excitaient pas sa colère : j’étais dans mon rôle, mais ils allaient autour de son oreille comme un vain son.

J’avais attendu de sa part moins de mansuétude ; je le remerciais en moi-même de son calme en face du crime manifeste, car mon malheur était de sentir jusqu’à l’angoisse la force des indices accumulés contre moi. Il arrivait avec sa science de jurisconsulte, avec son expérience de magistrat, avec la certitude de sa méthode, servant d’auxiliaire à une très notable faculté de pénétration naturelle. Il était sûr de lui-même. Il n’avait pas les défiances des faibles. Il entrait d’un pas solide et sans tâtonnements dans un ordre de faits qui excluait jusqu’au doute.

Son devoir était tracé : je mentais, il fallait me confondre.

Et cette tâche était si facile qu’elle n’excitait point sa verve ; il suivait sans passion la route trop battue,