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garde la société tout entière. Il y a de l’égoïsme dans mon fait.

Je raconte. En te quittant, je ne saurais pas dire tout ce que ressentait mon pauvre cœur. J’éprouvais à la fois de la joie et de l’angoisse. Mais, d’abord, ce voyageur de l’impériale, qui a le même nom que notre commissaire de police ! Un moment je fus terrifié. Puis je me souvins de ce jeune homme pâle et maigre qui était venu la veille, dans notre magasin, demander M. Schwartz. De temps en temps, il en arrive comme cela d’Alsace, et ils s’en vont chercher fortune ailleurs. Celui-là s’en allait comme les autres.

Quel bon cheval que ce Black ! En une demi-heure, il me conduisit à la maison de la bonne Madeleine, notre nourrice. Je lui dis tout uniment que le petit était malade par le mauvais air de Caen, et qu’il fallait venir le chercher. Elle prit ta place dans le tilbury sans demander d’autre explication. Avec celle-là, tu n’as rien à craindre ; elle est la mère du fiot presque autant que toi.

Black reprit le galop, et la bonne femme se mit à bavarder. Je n’avais pas le cœur à lui donner les explications qu’elle voulait. Je lui dis seulement que l’enfant pourrait bien rester du temps chez elle.

« Toujours, s’il veut, » répondit-elle.

Nous arrivâmes à Caen après la nuit tombée. Dans les rues basses, personne ne remarqua le tilbury, mais il fut reconnu vers la préfecture, et les gens commencèrent à le suivre. J’allais bon train, la foule aussi ; quand je débouchai aux Acacias, la cohue criait derrière moi.

« Qui qui veulent, les fainéants ? demandait Madeleine. C’est-i aujourd’hui carnaval ?

— Ma femme est en Angleterre, répondis-je ; moi, je vais être arrêté ; l’enfant n’a plus que vous. »