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Schwartz essaya de sourire et répondit :

« Je n’ai pas de bonheur comme vous, monsieur Lecoq. »

Ils avaient quitté le bord de l’eau et montaient la rue Saint-Jean. Le commis-voyageur haussa les épaules et prit un ton doctoral.

« Dans le commerce, Jean-Baptiste, professa-t-il, il n’y a ni bonheur ni malheur. C’est la façon de tenir les cartes, voilà, hé ?… Et la manière de risquer son tout… Moi qui parle, dès que je trouverai un cheveu dans Berthier et Cie, je m’envolerai vers d’autres rivages avec huit mille de fixe ou davantage…

— Vous devez faire de rudes économies, monsieur Lecoq ! » interrompit Schwartz avec une naïve admiration.

M. Lecoq quitta son bras pour lui donner un maître coup de poing dans le dos.

« Le jeu, le vin, les belles ! dit-il. Je suis un jeune fils de famille, et les poules mouillées ne font jamais fortune, hé, bonhomme ! »

En même temps, il fit pirouetter Schwartz, et le poussa sous la porte cochère d’une grande vieille maison qui avait pour enseigne cet illustre tableau représentant un volatile haut jambé, marchant sur la crinière d’un lion avec la légende : Au Coq hardi.

J.-B. Schwartz se laissa faire, parce qu’une violente odeur de cuisine le prit par les narines comme la main du dompteur saisit le taureau par les cornes.

« La fille ! cria M. Lecoq de ce ton impérieux qui pose les commis-voyageurs dans les hôtels. Maman Brulé ! père Brulé ! quelqu’un, que diable ! Tout le monde est-il mort ? »

Maman Brulé montra, au seuil de la cuisine, un vénérable visage de sorcière. M. Lecoq lui envoya un baiser et dit :