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conviction est faite ; il cherche seulement à l’étayer par un surcroît de preuves.

Il a la religion de sa mission, et je ferais serment qu’il n’y a rien en sa conscience sinon un pur dévouement à son devoir. Il faut un coupable, je suis le coupable : nous ne sortons pas de là dans mes interrogatoires.

Mes dénégations ne sont qu’une forme. Il les accepte comme la lettre du rôle que je dois jouer nécessairement, comme nécessairement il joue le sien.

Je puis bien te dire cela, Julie, puisque de longtemps tu ne liras cette lettre. — Quand tu la liras, tout sera fini. — Je puis bien te dire que ton absence est à ma charge. Dès mon premier interrogatoire, j’affirmai que tu avais trouvé passage à bord d’un caboteur au petit port de Langrune, et que tu étais en route pour Jersey. Dans leur pensée, tu emportes les quatre cent mille francs. Et comment leur pensée serait-elle autre ? Je suis coupable.

Pourtant M. Roland a une femme qu’il aime.

Mais il est homme d’honneur, et pour se rendre raison de la conduite d’un criminel, un honnête homme doit-il replier sa pensée sur sa propre conscience ? Évidemment non. Je suis coupable, toute ma conduite est d’un coupable. Une fois ceci admis, les choses changent de nom. La femelle d’un cheval est une jument. La femme d’un malheureux tel que moi est une complice.

Entre mon juge et moi, la question n’a pas marché depuis le premier jour. Mes réponses ne lui ont rien appris. J’étais coupable, je suis coupable. L’unique moyen d’améliorer ma position est un aveu sincère. Il n’y a pas de doute en lui. Son travail est de rendre clair pour autrui ce qui, pour lui-même, est manifeste.