Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome I.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lie, du moins il s’écoulera longtemps avant que tu la lises. J’ai réfléchi, depuis que j’ai de quoi t’écrire, et il y a une chose terrible ; si c’était un piège ! Je pense que Louis, mon gardien, est un brave homme, mais il me croit coupable comme les autres, et tout est permis contre les coupables. Ce doit être un piège. Si je t’adressais une lettre maintenant, ce serait dévoiler ta retraite, à toi, mon adorée complice. Ils iraient tout droit à toi, ils te saisiraient, ils te mettraient en prison.

Toi en prison ! toi, ma Julie, toi l’honneur, la dignité, la pureté ! Je puis tout supporter ; ce que j’endure est loin de dépasser mes forces, et j’éprouve même une bonne et profonde joie à penser que ta part du fardeau est sur moi. Mais si je te savais dans la peine, adieu mon courage qui est encore toi. Je ne connaîtrais plus la Providence, si la Providence te frappait. Je blasphèmerais.

C’est un piège, vois-tu, quelque chose me le dit : je n’y tomberai pas. Je sais où cacher cette lettre qui s’allongera sans cesse, et où, quelque jour, tu trouveras tout mon cœur. Comme ils se demanderont ce que je fais de mon papier, j’écrirai d’autres lettres que j’enverrai à Londres, où ils te croient. Tout à l’heure, je vais t’expliquer ceci. Ces lettres-là, qu’ils les lisent, s’ils veulent, qu’ils y cherchent ta trace. J’ai mon secret dans mon cœur.

Ils sont mes ennemis, et c’est une chose bien singulière, ils n’ont pas de mauvais vouloir contre moi. Je n’ai pas beaucoup étudié ; il me serait impossible d’expliquer certaines pensées que j’ai, pourtant, et qui sont claires, au dedans de moi. Ma personne leur inspire une sorte d’amitié, c’est mon crime qu’ils détestent. Mais peut-on séparer l’homme de son acte ? Et si j’ai