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Tout me parle de toi. Je vis avec toi ; ta pensée ne me quitte jamais un seul instant. Je sais que tu te gardes à moi, et j’ai confiance en la bonté de Dieu.

Ce qui me fait souffrir, c’est que je ne connais pas Paris. Je ne vois rien de ce qui t’entoure. Je ne puis bien me figurer ce que tu fais, où tu vas, la rue que regarde ta fenêtre, l’église où tu pries pour notre cher enfant. Je suis obligé de me retourner vers le passé ; je te cherche où je t’avais, dans notre maison des Acacias. Comme je t’aimais, Julie ! Et cependant ce n’est rien auprès de la façon dont je t’aime ! Non, c’est le plus grand miracle, le seul miracle digne de ce nom : l’affection peut donc grandir encore quand déjà elle emplit tout le cœur ! Le cœur grandit pour la pouvoir contenir. Je suis sûr que j’aime davantage chaque jour. Je sens les progrès de ce divin mal, qui est ma vie. Je t’aime comme jamais on n’aima, et je sens que je t’aimerai mieux encore demain. Ils ne peuvent rien contre cela. Je ne suis pas si malheureux qu’ils le pensent.

L’homme qui est chargé de me garder m’a donné une plume, de l’encre et du papier pour de l’argent. Il n’est pas riche ; il a deux enfants ; il aime sa femme. Pendant les grands froids de l’année dernière, tu avais envoyé des petites chemises de laine aux enfants. Il s’est souvenu de cela, et ne m’a pris que deux louis pour me procurer une main de papier, une bouteille d’encre et trois plumes.

Ma pauvre belle Julie, quand j’ai vu tout cela, j’ai pleuré comme un fou. Il m’a semblé que tu étais là et que j’allais te parler. Figure-toi : la souffrance ne me fais pas pleurer, mais, à la moindre joie, j’ai des larmes.

Et je ne savais par où commencer ni comment te dire cette chose cruelle : Tu ne liras point cette lettre, Ju-