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à l’unisson. Julie avait tout oublié, immolant l’univers entier dans la pensée d’André. L’idée de mourir ainsi lui vint.

Le temps allait, cependant. Julie, languissante et pâlie, s’agenouilla dans l’herbe et appuya sa tête souriante sur les genoux d’André. Ses cheveux dénoués roulaient comme des flots la richesse de leurs boucles ; son sein battait, je ne sais quelle délicieuse fatigue éteignait la flamme de sa prunelle.

Comme les lèvres d’André cherchaient les siennes, elle dit :

« Il n’y a au monde que toi pour moi ; la toute puissance de Dieu elle-même ne pourrait me donner à un autre que toi ! »

La brise soufflait, mêlant leurs caressantes chevelures, la brise qui écoute et emporte ; les feuillages balancés rendaient leurs grands murmures sur lesquels le rieur concert des oiseaux brodait d’innombrables fantaisies ; le ruisseau donnait sa note monotone, et le soleil oblique perçait au loin sous la futaie noire de longues échappées d’or.

Faut-il que ces songes s’éveillent !…

À la tombée de la brune, la diligence de Caen à Paris changeait de chevaux au relais de Moult-Argences. Une jeune paysanne se présenta et prit une place de rotonde, pendant qu’un jeune homme ayant pour tout bagage un petit paquet grimpait maladroitement sur la banquette. La jeune paysanne avait une valise. Le conducteur, homme du monde comme tous ses pareils, la regarda sous le nez et dit avec une admiration non équivoque :

« Un fameux brin ! ça vaudra cher à Paris ! »

La belle paysanne donna pour la feuille un nom de terroir quelconque : Pélagie ou Goton. Le jeune voya-