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pouls, en somme, ne bat qu’une fièvre dont les modes divers sont la souffrance et le plaisir.

Ils étaient tout jeunes et la fièvre se gagne. La volonté d’André entraîna Julie, puis, la réaction se faisant, le premier élan de Julie provoqua chez André une sorte de religieuse ivresse.

Il est dans notre histoire de France une page qui semble arrachée aux tablettes de la Clio antique, une page gravée par le pur ciseau de Phidias sur un bloc sans tache du plus transparent marbre de Paros. Je ne veux pas écouler ceux qui nient, car chaque fruit a son ver et chaque lumière son aveugle, je veux croire et je vois sur le fond sanglant du tableau de la Terreur ces quelques figures sereines, fermement détachées. C’étaient aussi presque tous des jeunes hommes, ils s’appelaient Brissot, Vergniaud, Gensonné, mais on ne leur sait plus qu’un nom : les Girondins. Quand ils furent pour mourir, ils s’assemblèrent, dit-on, ces amoureux de la liberté ; ils rompirent le pain, ils partagèrent le vin, célébrant avec un doux enthousiasme, au beau milieu de l’orgie qui hurlait et demandait leurs têtes, la solennité de leurs prochaines funérailles.

C’est la légende de ces terribles jours, et l’éloquence mélancolique de leur dernier sourire est illustre.

Le malheur exalte, le péril suprême dégage une suprême poésie. Ils étaient là tous deux, assis à leur dernier banquet avec la solitude pour convive. Le rêve venait, l’extase naissait ; la forêt complice leur prodiguait ses harmonies et ses parfums ; Julie était si belle que l’éblouissement d’André la voyait au travers d’une sainte auréole. Ils rayonnaient d’amour ; leurs cœurs prodigues consumaient à la hâte, en cette héroïque débauche, tout le feu sacré d’une longue vie de tendresse.

Et n’ayez pas défiance : les deux âmes brûlaient bien