Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome I.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

verte, même quand la chaleur l’a desséchée, formait un doux tapis. L’ardeur du jour était passée ; l’ombre des chênes s’allongeait pendant que le soleil descendait lentement dans l’azur sans nuage. La brise tiède agitait les feuillées. C’était le temps d’aimer.

Tout à l’heure elle était distraite : nous l’avons dit deux fois déjà et non sans amertume. Il n’y paraissait plus. Pourquoi ces sévérités ? Elle vint prendre André par la main et le conduisit près du tertre. Ils s’assirent l’un tout contre l’autre et commencèrent leur repas. André voulut, toast silencieux, que la première libation fût partagée et une larme de ce pauvre vin du village humecta leurs lèvres dans un baiser. Au premier moment, ce fut une fête stoïque et comme un défi jeté par le noble jeune homme aux angoisses de la séparation. Puis vint je ne sais quelle joie grave et sereine à mesure que se poursuivaient ces agapes dont la peinture nous serre le cœur. Agape est bien le mot : ceux-là étaient assis au banquet du martyre.

Ils mangeaient et ils buvaient ; tout était bon sous l’assaisonnement des divines caresses. Oh ! ils s’aimaient ; je ne parle plus d’André seulement, et qu’importe cette vague pensée qui traversait naguère le cerveau endolori de Julie ? Leurs yeux, qui toujours se cherchaient, parlaient bien maintenant le même langage. Ils s’aimaient d’un seul et grand amour ; leurs cœurs se confondaient et leur entretien n’était déjà plus dans les rares paroles qui tombaient de leurs bouches.

Le malheur exalte comme la joie ; il y a l’ivresse de la douleur. À qui apprendrai-je que nos sensations et nos sentiments se développent selon cette figure mystique du cercle brisé où les extrêmes se touchent ? L’histoire nous montre des sectes enthousiastes cherchant et trouvant la volupté dans la torture. Notre