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Julie se leva ; il la retint et séchant de deux baisers ses yeux humides, il ajouta :

« Je ne veux plus qu’on pleure. »

Julie dit :

« Aujourd’hui comme alors, je suis à toi, mon André chéri, et je ferai ta volonté. »

Elle prit le panier et l’ouvrit. Le pain, le vin, les fruits et quelques mets rustiques furent étalés sur l’herbe. André suivait d’un regard ému ses mouvements gracieux. Il croyait lire au fond de son cœur et lui savait gré passionnément du cher sourire qu’elle mettait comme un déguisement sur ses pleurs.

Et que dire ? ses pleurs n’étaient-ils pas sincères ? Dieu nous garde d’en douter ! André était l’homme de son choix, son premier, son unique amour. Elle s’était mise un jour dans ses bras avec enthousiasme et sans réserve.

Mais tout à l’heure elle était distraite. Ce sont des présomptueux ou des aveugles ceux qui vous font de ces traités intitulés : La femme. Si perçante que soit leur vue à leur propre gré, je vous le dis, en face de ces mystères et de ces caprices, de ces transformations et de ces mirages, ce sont des aveugles ; si grand que soit leur talent d’observation, si près qu’ils se croient d’atteindre à la divination, ce sont des enfants présomptueux. Tout à l’heure, elle était distraite ; une pensée était née au milieu même de son émoi, une pensée qui n’avait trait ni à son mari, ni à son enfant. Pensée coupable ? Non, certes ! Pensée égoïste peut-être. Il reste des plis profonds, des recoins obscurs dans ces âmes qui varient non-seulement entre elles, mais qui varient sans cesse par rapport à elles-mêmes : richesse prodigieuse de l’œuvre du créateur ! que votre creuset, si vous avez un creuset, analyse neuf cent quatre-vingt-dix-neuf de ces âmes avec intelligence et avec science,