Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome I.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fuite de ce matin en est la preuve. Elle sera mise à ta charge. Si tu voulais te défendre, il ne fallait pas fuir.

— Je ne suis pas un bien grand savant, dit André, qui réchauffa les belles mains froides de la jeune femme contre ses lèvres, mais nous avons lu ensemble l’histoire ancienne où l’on rapporte les guerres des peuples libres. Quand il s’agissait de vie et de mort pour ces nations héroïques, quand une ville, menacée d’un siège, voulait livrer sa suprême bataille, on expulsait les enfants et les femmes…

— Bouches inutiles, » murmura Julie amèrement.

André s’était repris à sourire.

« Tu ne me fâcheras pas, reprit-il, en dévorant de baisers les pauvres doigts blancs qui tremblaient sous ses lèvres ; tu es injuste, tu es cruelle, mais tu m’aimes et je suis heureux… Ceux-là dont je parle renvoyaient leurs enfants et leurs femmes, parce qu’ils ne voulaient pas capituler. Quand ceux qu’on aime sont à l’abri, on est fort. Je n’aime que toi, je te cache pour te retrouver après le danger passé. Dès la première menace, j’ai compris la gravité du combat et je me suis interrogé pour savoir quel degré d’énergie j’apporterai dans la lutte. Je t’ai vue près de moi, toi, Julie, mon trésor chéri, mon rêve réalisé, ma félicité si complète et si pure qu’il ne peut rien exister au-delà, pour moi, même dans les joies célestes ; je t’ai vue assise sur le banc des accusés : je ne sais quoi d’ignominieux et d’intolérable, des gendarmes autour de toi et les regards salissants de la foule fixés brutalement sur toi ; j’ai vu cela, tu étais blême, maigre, vieillie, quoiqu’il n’y eût pas plus de quatre semaines ajoutées à ton âge ; ta tête s’inclinait, tes yeux rouges semblaient brûlés par les larmes ; j’ai vu cela et j’ai senti que mon courage défaillait. Tu entends bien, j’ai frémi, j’ai pleuré, j’ai