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nait mélancoliquement sur les bords de l’Orne. L’hospitalité de ses deux compatriotes n’avait pas été jusqu’à lui offrir place à table. Il portait toujours son bagage sous son bras, et ses réflexions n’étaient pas couleur de rose. Sans doute, avant de désespérer tout à fait, il lui restait à voir une grande quantité de Schwartz dans les divers départements de la France ; mais ses finances étaient à bout, et son estomac patientait depuis le matin.

« Eh ! Schwartz ! » cria derrière lui une voix joyeuse.

Il se retourna vivement et déjà content. Toute rencontre est bonne aux affamés, car il y a au bout un dîner possible. Cependant, à la vue de celui qui se présentait, la physionomie de J.-B. Schwartz se rembrunit, et il baissa les yeux. Un jeune homme de son âge, très passablement couvert, et dont l’élégance sui generis annonçait un commis-voyageur, venait droit à lui le long du quai, le sourire aux lèvres et la main tendue.

« Comment va, bonhomme ? demanda le nouveau venu avec rondeur. Nous voilà donc dans la patrie du bœuf gras, hé ? »

Il ajouta, après avoir secoué la main de Schwartz, qui resta inerte et froide :

« Comme on se rencontre, tout de même ?

— C’est vrai, monsieur Lecoq, répliqua le jeune Alsacien qui souleva son chapeau en cérémonie, on se rencontre comme cela. »

M. Lecoq passa son bras sous le sien, et Schwartz sembla éprouver une sorte de malaise. Nous devons dire que rien, dans l’apparence du nouveau venu, ne motivait une pareille répulsion. C’était un fort beau garçon, au teint frais, à la tournure crâne, au regard ouvert et hardi. Ses manières pouvaient manquer de