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pour la première fois, le trio de nageurs avait dépassé déjà le pont de la Concorde et dérivait le long de ces berges désertes qui bordent le Cours-la-Reine d’un côté, de l’autre l’avenue tournante joignant l’esplanade des Invalides au Champs-de-Mars.

Ici, quand même Reynier aurait crié au secours, aucun secours ne lui serait venu, mais Reynier se taisait.

Appeler de l’aide, c’était perdre le bénéfice de sa fuite et rentrer sous le coup de la loi.

C’est là que se reconnaît la main des Habits-Noirs : Ceux qu’ils ont condamnés sont pris toujours au même genre de piège.

Ils se débattent entre deux fatalités qui les pressent : à droite l’assassin, à gauche le juge.

Pour ces maîtres passés dans l’art du crime, la loi est une arme de rechange qui supplée au couteau.

Sous le ciel sombre, au milieu de l’eau qui roulait impétueusement, Reynier, blessé déjà par deux fois, seul contre deux ennemis, et n’ayant que ses mains vides, retrouva du courage dans l’excès même de son danger. La lutte avait trahi son caractère : il ne s’agissait plus de fuir, il s’agissait de combattre.

Il fallait tuer pour n’être pas tué.

Quand Reynier me raconta cette bataille muette et horrible dont la pensée met encore du froid dans