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est un pauvre misérable que l’amour a aveuglé ; il se vante, mais il pleure. »

« C’était vrai. Il y a des créatures dont les baisers sont funestes comme la morsure d’un chien enragé.

« L’homme avait été un vaillant soldat. On lui avait broyé le cœur. Nous le gardâmes et nous le soignâmes. Quand il nous quitta, il dit à Irène : « Ce que vous avez fait pour moi, peut-être que je le rendrai à ceux que vous aimez. »

« … C’était cet homme-là, ma fille, qui tournait la meule dans la maison isolée, et qui aiguisait le couteau qui devait faire la fin de moi, pendant que la vieille femme ivre grondait et chantonnait, pendant que la tempête hurlait autour de mon corps. Car bientôt je ne valus pas mieux qu’un cadavre. Je perdis mes sens, couché dans une flaque d’eau, la tête sur la pierre du seuil.

« … Quand je m’éveillai, j’étais dans le lit de Coyatier dit le Marchef, qui veillait à mon chevet. Il m’avait reconnu après tant d’années. La vieille était garrottée avec des cordes dans un coin. Il me dit : « J’ai souvent pensé à votre ange de femme. Je parie qu’elle est morte. Celles-là ne restent jamais bien longtemps sur la terre. »

« — Est-ce donc bien vous ? demandai-je.

« — Oui ; et vous auriez mieux fait de me laisser crever comme un chien, autrefois… Elle est morte,