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les bras croisés sur sa poitrine, en face du portrait de sa femme.

— Ce qui m’attire invinciblement vers elle, dit-il, c’est précisément le côté enfant de sa nature et l’adorée faiblesse de son intelligence. Peut-être ne comprenez-vous pas bien cela, vous, Battista : vous êtes un esprit d’affaires ; la preuve, c’est que vous voyez la chevalerie où elle n’est pas. La chevalerie, c’est le sentiment aveugle. Je suis au contraire le fils de notre siècle clairvoyant. J’ai pour moi, avec la grandeur du passé, tout ce qui fait la moderne grandeur. Si quelqu’un me disait : Ta noblesse est morte, je lui montrerais ma richesse à laquelle aucune autre fortune ne se peut comparer. Et si mon ennemi ajoutait : La tempête sociale qui gronde va engloutir ton opulence, je lui répondrais : J’ai ma science et mon art… J’aime Domenica si faible de toute l’énormité de cette force. C’est ma supériorité qui est mon amour.

— Voilà, dit le comte qui avait achevé son ménage. Veuillez voir s’il vous manque quelque chose.

— C’est bien, répliqua M. de Sampierre sans même se retourner. Je vous ai dit de rester. Écoutez et instruisez-vous. Elle est la première femme, la seule femme qui ait éveillé mon cœur et parlé à mes sens. Ce n’est pas de la chevalerie, cela, c’est de la passion. Et comme toute passion est fatalement aveugle, il s’est trouvé qu’un jour mon intelligence s’est obscurcie. J’ai cru que cette admirable créature, éternelle enfant, s’éveillait femme pour un autre que pour moi. Vous l’avez cru, vous aussi Battista…