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J’ai tué !… Je vous aime, et c’est un supplice horrible que de repousser son bonheur !

Un râle s’étrangla dans sa gorge.

Il oscilla comme un arbre tranché à sa base.

Et comme ils voulaient tous deux, Édouard et Charlotte, le soutenir dans leurs bras, il y eut une lutte étrange ; le malheureux homme les repoussait avec des caresses, balbutiant :

— Mon fils !… mon fils !… tu es mort… va-t-en… je suis fou… je te vois sanglant dans les bras de ta mère… moi, moi, moi, le plus riche, le plus noble, le plus savant des hommes… et le plus misérable !

Il se dégagea d’un effort convulsif et resta un instant debout, tout droit, jetant à Dieu un regard de puissance à puissance.

Puis il tomba d’un temps, roide, de tout son long, à la renverse, et sa tête sonna sec sur le plancher.

Édouard et Charlotte, agenouillés, s’empressèrent autour de lui. C’était un spasme, semblable à celui qui l’avait terrassé, au chevet de Domenica, dans la nuit du 23 mai 1847.

Au bout de quelques instants, son pouls se reprit à battre et les couleurs de la vie revinrent à son front.

Pas une parole n’avait été échangée jusqu’alors entre les deux jeunes gens. Ils semblaient répugner l’un et l’autre à une explication.

Au moment où le souffle revenait aux lèvres du marquis dont les paupières faisaient effort déjà pour se re-