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la vie et le pain de plusieurs milliers d’hommes, par le jeu de cette pompe aspirante qu’on nomme les affaires, ont été blessés sous nos yeux cruellement et profondément.

L’un, prodigieux champignon de la couche financière, vend, une fois, sa dernière chemise pour imprimer un journal à un sou, le soir d’une émeute, s’éveille le lendemain directeur d’une feuille en vogue, achète une autre chemise, des souliers, un palais, des équipages, un duc pour en faire son gendre et le droit de bavarder sa langue alliacée dans d’illustres salons qui l’écoutent à genoux. Il avait du génie, celui-là ! Un autre champignon le poignarda dans le dos et il mourut enragé.

L’autre, le champignon assassin, le pâle vampire qui voulait engloutir l’Océan-Rothschild dans son estomac délabré, et qui, pendant trente ans, condamné de la médecine, n’a pu ni boire un verre de vin, ni manger une aile de perdreau, ni profiter d’un sourire ; l’autre, incapable de dépenser un sou pour le bien de son corps ou de son âme, plus pétrifié que la fille de Loth, plus métamorphosé que Midas et plus mort que tout un cimetière ; l’autre, après avoir trôné sur un pavois, fait de cent mille détresses, étouffé l’anathème d’un peuple de dupes et vaincu la justice même du pays, s’est refroidi, cadavre d’or massif, au fond d’une obscurité désespérée.

Son nom était inscrit au coin des rues, il y est peut-être encore… et c’est grande pitié de voir le caprice municipal acharné à gratter le souvenir des saints et des rois, perpétuer cette honte en même temps qu’elle biffe tant de gloires !