Page:Féval - Les Cinq - 1875, volume 1.pdf/410

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Personne ne sait rien de mon passé. Il y a des souvenirs douloureux qu’on essaie d’ensevelir. C’était bien avant mon mariage ; j’avais perdu ma mère de bonne heure, et mon père, qui était jeune encore, avait dissipé notre fortune.

Mon père était un gentilhomme ; il ne voulut pas rester pauvre parmi ceux qui l’avaient connu riche. Ne sachant à qui me confier, il me prit avec lui, et nous partîmes pour ces pays nouveaux où vont tous ceux qui n’ont plus de ressources dans l’ancien monde. Nous allâmes dans les vastes plaines du Nord-Ouest-Amérique où l’Europe croit enfouies toutes les richesses de l’Eldorado.

Mon père avait les qualités de ses défauts. Ce qui l’avait ruiné en France devait faire sa fortune au pays d’or où sa prodigalité devenait munificence et sa témérité héroïsme. Jamais il ne mesurait l’obstacle et rien au monde n’était capable de le faire reculer.

Là-bas, on aime les cœurs de lion.

Une armée d’aventuriers se groupa autour de mon père, et la grande entreprise fut fondée qui devait conquérir la portion indienne de la Sonora, sous la protection des deux gouvernements français et mexicains.

Je n’avais jamais quitté mon père. Au moment d’entrer en campagne, il voulut me laisser derrière lui, mais je refusai. Je fis bien, car il eut mon aide à son heure suprême, et son dernier regard se ferma sous mes baisers.

Il fut vaincu, non pas par les armes, mais par la tra-