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— Domenica devrait m’adorer, dit-il après un silence, accordez-vous cela ?

— Certes.

— Eh bien ! elle ne m’adore pas… je crains cet homme.

— Un gentillâtre ! s’écria Pernola, un Jean de Tréglave ! un employé d’ambassade qui n’a pas le sou !

— Je l’ai trouvé à Rome au lendemain de notre mariage, prononça lentement le marquis. Je suis allé à Naples, je l’y ai retrouvé. J’ai quitté l’Italie. Quinze jours après notre arrivée à Genève, j’ai lu son nom sur le registre de l’hôtel des Berghes. Alors j’ai traversé d’un temps toute l’Allemagne, j’ai acheté le palais de Kaunitz, à Dresde, et j’ai rencontré cet homme dans ma rue, avant même d’en avoir fini avec mes tapissiers. J’ai vendu mon palais ; j’ai voulu fuir jusqu’à Bucharest ! J’avais pour prétexte mon désir de visiter les domaines de Paléologue. Je m’embarquai à Vienne sur le Danube : cet homme m’attendait au passage, à Pesth. Je m’arrêtai, puis je changeai de route : je gagnai Venise par Trieste. C’était hier cela ! je me trouvai face à face avec lui devant le tombeau de Catherine Cornaro… Je suis très-brave, personne ne l’ignore…

— Pas un mot de plus ! interrompit le petit comte. Je vous mépriserais si l’idée vous était venue jamais de croiser l’épée avec ce hobereau !

— L’idée ne m’en est pas venue, répondit franchement M.  de Sampierre, puisque me voici à Milan. Mais je crois avoir montré assez de patience, et s’il me poursuit jusqu’à Milan, malheur à lui !