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Cela était nouveau : espoirs et tristesses. Charlotte était née femme depuis bien peu de jours. On devinait encore l’ignorance d’hier à travers le souci d’aujourd’hui, et à chaque instant il semblait que le sourire d’autrefois allait percer, comme un regard de soleil, glissant entre les nuées.

Tant que Charlotte était restée enfant, cette bonne Domenica l’avait entourée d’une véritable adoration. Enfant elle-même et enchantée d’avoir quelqu’un à protéger, à caresser, à gâter, elle ne pouvait se séparer un instant de sa petite cousine, qu’elle appelait sa fille. C’étaient son occupation et sa récréation. Sans Charlotte elle fût morte d’ennui.

Mais, depuis quelques mois, Charlotte, qui avait dix-huit ans, était devenue bien vieille pour Mme  la marquise. Domenica s’était aperçue avec effroi que Charlotte n’était pas folle du monde. Avec une épouvante plus grande encore, elle avait cru deviner que Charlotte était susceptible de réfléchir.

Il se pouvait que cette petite fille, une fois ou l’autre, vînt brusquement l’éveiller du sommeil factice où elle avait déjà tant de peine à s’engourdir.

Car ce n’était pas l’intelligence, à proprement parler qui manquait à Mme  la marquise de Sampierre, c’était surtout le courage. Elle s’échappait dans le bruit vide, dans le mouvement vain, dans cette chose enfin que les consciences fuyardes appellent « le plaisir ».

Il n’y avait pas au monde un malheur plus grand que celui de cette pauvre femme, veuve d’un mari vivant et qui pleurait ses deux fils ; mais il n’y avait pas non plus