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J’ai eu jusqu’ici toutes les peines du monde à vous faire accepter quelques faibles marques de mon intérêt, et vous m’avez arraché la promesse de ne jamais parler de vous devant ma cousine de Sampierre. Répondez-moi avec franchise : il se peut qu’à mon tour j’aie besoin de vous ou tout au moins de l’un des vôtres : Avez-vous des motifs de craindre ou de haïr la marquise Domenica ?

Sur les joues bronzées de l’aveugle, un peu de rouge était venu. Elle hésita avant de répliquer.

— Celles qui vivent dans la nuit, dit-elle enfin, voient mieux le passé. Je me souviens du soleil. J’ai été une jeune fille rieuse, une femme heureuse, une mère orgueilleuse. Et puis, j’ai tant pleuré que la lumière de mes yeux s’est éteinte dans mes larmes. Je vois mes belles années, et le sourire de la Paléologue passe devant moi comme un rayon… Elle était si fort au-dessus de moi que l’envie ne m’était pas permise. Je ne la crains ni ne la hais. Mais le hasard a creusé un abîme entre sa richesse et ma misère. Qu’elle vive où elle est ; où je suis, je meurs.

— Et si elle avait besoin de votre aide ?… commença la jeune fille.

L’aveugle lui coupa la parole, et dit en faisant un pas en avant :

— Est-ce pour l’enfant ? Est-ce pour le jeune comte Domenico ?

Charlotte d’Aleix resta muette de surprise. L’aveugle continua en se parlant à elle-même :

— L’enfant est mort, l’imposture survit…