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CHAPITRE III.

ont des yeux pour ne point voir et des oreilles pour ne point entendre… Vous avez fait exprès de regarder trop tard, Étienne, tant vous aviez grand’peur de manquer à vos serments de constance !… Mais c’est égal ; on ne peut pas tout faire le premier jour… nous verrons bien !

La diligence s’arrêtait dans une sombre rue de la vieille ville, à l’hôtel où les voyageurs devaient prendre leur repas et passer la nuit.

Il va sans dire que Montalt et le jeune peintre soupèrent ensemble ; c’étaient deux inséparables. On ne se querella guère que deux ou trois fois durant le repas, et Montalt but, sans trop d’ironie, à la santé de Diane, à la santé de Cyprienne, et même à la santé de Roger, le Pylade absent…

Étienne venait de se retirer dans sa chambre à coucher. Durant toute cette journée, il était resté sous l’empire d’une sorte de fascination. Maintenant qu’il se retrouvait seul, il cherchait, mais en vain, à dépouiller Montalt de son bizarre prestige et à le juger froidement. Montalt échappait à tout examen ; son image, évoquée, apparaissait à l’esprit d’Étienne plus fugitive encore et plus capricieuse que la réalité même.

Étienne faisait d’inutiles efforts pour fixer ce fantôme insaisissable ; il le voyait à la fois bon, méchant, généreux, cruel, sincère, menteur et