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la mieux considérer, plusieurs, parmi ces dames, trouvaient en elle quelque chose d’effrayant. Quoi ? Sait-on définir ces vagues avertissements ?

Ce n’était ni le saphir limpide de sa prunelle, ni la délicate transparence de son teint ni la pureté virginale de son maintien, ni l’auréole de ses blonds cheveux. Non. Rien de tout cela en particulier, mais l’ensemble !

Écoutez ! Elle était trop belle !

Quant au vieillard, le chevalier Ténèbre avait beau cacher son front satanique sous les masses vénérables de cette chevelure de neige. Quelques-unes de ces dames n’étaient pas d’hier ! Quelles rides profondes ! quel teint ravagé ! quelle force ? mais quelle fatale tristesse !

On pouvait aller dans la plaine du Grand-Waradein et chercher, sous la moisson, les tombes noires ; on pouvait soulever les pierres qui portaient les mystérieuses inscriptions. Rien dans les tombes ! C’était ailleurs qu’il fallait trouver aujourd’hui le chevalier Ténèbre et le docteur vampire !

L’orchestre donna deux longs accords, suivis d’une batterie arpégée, sur laquelle Mlle d’Arnheim entonna le Fons amoris de Haydn. Elle avait une voix de mezzo-soprano d’une sûreté magnifique et d’une incomparable valeur. Ces dames avaient attendu un contralto, mais elles n’en étaient plus à s’attarder aux objections de la raison. Qu’importe la raison quand il s’agit de choses déraisonnables, folles, impossibles, surnaturelles ? En tout autre circonstance, elles eussent admiré, passionnément peut-être, la façon largement pieuse, expressive jusqu’à l’ascétisme simple enfin jusqu’à la divine candeur, dont Mlle d’Arnheim interprétait l’œuvre du maître viennois. Elles étaient connaisseuses : la tendre majesté de style ne leur aurait pas plus échappé que la splendeur de la voix ; mais, je vous le demande, qu’importe tout cela quand il s’agit d’une illusion diabolique ? Écoutaient-elles seulement ?