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une tonsure. La diplomatie ! je vous demande un peu s’il a tournure de diplomate !… Mais vous avez beaucoup perdu, docteur, de n’avoir point été avec nous au jardin. Nous avons eu un conteur allemand très original et qui nous a fait d’abord l’effet d’être le diable. Où donc l’a-t-on mis ?

Son regard fit le tour du salon et rencontra le baron d’Altenheimer qui était debout auprès de la porte d’entrée. À la lumière des bougies, ce fantastique personnage perdait énormément : c’était un homme aux environs de trente ans, mais paraissant plus vieux que son âge par la qualité particulière de sa laideur. Il avait, à proprement parler, une de ces figures que tous nos lecteurs connaissent et qui restent telles quelles depuis la vingtième année jusqu’à la vieillesse, une de ces figures que le langage commun caractérise en disant « n’ont pas d’âge » : une grande face longue, pâle, effacée, avec des yeux mornes sous des sourcils touffus et un front bas, couvert d’une forêt de cheveux plats, d’où sortaient des oreilles minces et sans ourlets. Sa bouche, démesurément fendue, avait une expression de naïve placidité ; sa physionomie entière était énergiquement bourgeoise et commune. Il était haut sur jambes et portait un habit noir taillé lourdement sur un pantalon désolant de gaucherie, trop court de quatre ou cinq doigts et laissant voir des bas de soie d’une finesse extrême, sur lesquels montaient de forts souliers carrés avec des boucles de perles fines.

La princesse remarqua ses chevilles qui avaient l’air de deux nœuds dans un bâton.

— Voilà pourtant le romanesque inconnu qui nous a fait un instant frissonner, reprit-elle en riant. Il n’y a que la lune et la nuit pour jouer de ces tours ! Passé dix heures du soir, sur les grandes routes, Mme de Maillé, ma nièce, prend toutes les souches de chênes pour des lions d’Afrique, échappés des ménageries, et tous les poteaux pour le brigand Rinaldo Rinaldini dont elle