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jeune encore pour comprendre tout ce qu’a de sacré la sainte cause que j’ai embrassée, pour sentir tout ce qu’a d’odieux et d’abominable le principe qu’ils défendent. Les lâches ! ils m’ont volé le cœur de mon fils !… Malheur à eux !

Des larmes vinrent aux yeux de la jeune fille,

— Pauvre René ! murmura-t-elle ; il y a deux ans que nous n’avons eu de ses nouvelles.

— Puissions-nous… s’écria le citoyen Saulnier.

Il allait ajouter : ne jamais le revoir ; mais son cœur démentit à l’instant ce vœu blasphématoire, et il n’acheva point.

— Sainte, poursuivit-il d’un ton plus calme, en lâchant le bras de la jeune fille, cette croix et l’écriteau qu’elle supporte sont de clairs et tristes présages. Une insurrection nouvelle va éclater, je m’y attendais ; les brigands de la Vendée, vaincus au delà de la Loire, devaient venir chercher chez nous un asile et des prosélytes. Retourne seule à la maison, et prépare en toute hâte ma valise ; je partirai ce soir pour Redon.

— Ne répugnez-vous donc point, mon père, à ramener de nouveau les milices républicaines dans ce malheureux pays ? dit Sainte.

— Il le faut. Je vais entrer au château, afin de m’entendre avec Vauduy… Va !

Sainte obéit sans répliquer, et le Médecin bleu prit à grands pas le chemin du manoir.

La pauvre Sainte, au contraire, marchait lentement et la tête baissée. Son cœur se serrait à l’idée de cette nouvelle lutte et des malheurs qui, nécessairement, en devaient être la suite.

Comme elle tournait un angle de la route, le galop d’un cheval vint frapper ses oreilles. Elle s’arrêta craintive ; son père avait déjà disparu derrière les grands arbres de la forêt. Le bruit, cependant, approchait rapidement. Bientôt, Sainte aperçut un cheval lancé à toute bride, et qui venait vers elle. Sur le