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horrible crainte ne se réalise point ! Ils sont bons tous les deux et suivent la voix de leur conscience. Si l’un ou l’autre se trompe, et que ce soit un crime, prenez ma vie, mon Dieu, mais ne permettez point qu’une lutte impie les rapproche, et que…

Elle n’eut point la force d’achever.

— Puisse Dieu vous exaucer, ma Fille ! dit auprès d’elle une voix grave et triste.

Sainte se releva vivement, Un homme enveloppé d’un manteau s’était agenouillé à ses côtés. Elle reconnut l’abbé Kernas, l’ancien curé de Saint-Yon.

C’était un beau vieillard à la physionomie ferme et douce à la fois. Il s’était découvert ; les rayons de la lune, luttant contre les dernières lueurs du crépuscule, envoyaient à son front chauve, entouré d’une transparente couronne de cheveux blancs, un reflet indécis, presque fantastique. Sainte se sentit calmée par cette apparition inattendue ; elle s’inclina comme elle avait coutume de faire autrefois devant le prêtre et celui-ci prononça sur elle les paroles de la bénédiction.

— Ma fille, dit-il ensuite, ce que je craignais est arrivé, je le devine. Votre père, que je regarde comme mon ami, bien qu’un abîme nous sépare désormais, n’a pu étouffer les convictions de René ; leurs opinions se heurtent, et peut-être…

— René est parti, mon père.

— Dieu soit loué ! On ne peut dire à un homme : Change de croyance ; mais on peut lui ordonner, au nom de la religion, de fuir quand il y a autour de lui des occasions de crimes. Je comptais voir votre frère, Sainte ; c’était là le motif de ma présence en un lieu où je ne suis plus qu’un proscrit.

— Ne pourriez-vous demeurer quelque temps parmi nous ? demanda la jeune fille ; le pays est maintenant tranquille.

— Tranquille ! répéta le vieillard en hochant la