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Il n’était pas trop tôt. Dans le lointain, les fanfares sonnaient déjà.

Ce jour-là, M. le marquis de Lorgères entendit plusieurs coups de feu sous le couvert, pendant qu’il chassait le sanglier. Une balle siffla à son oreille, et pour qu’il eût certitude de n’avoir pas été le jouet d’une illusion, une autre balle vint se loger entre le bougran et l’étoffe de sa veste de chasse.

Mais William et Bobby l’avaient dit : la chance était contre eux. Ils furent rencontrés, reconnus, et ne durent leur salut qu’à la vitesse de leurs jambes. Quand ils voulurent reprendre leur charrette et leurs déguisements, ils trouvèrent la cachette ravagée. C’était un mur qui fermait désormais pour eux le chemin de la retraite, car, sans costumes, ils ne pouvaient plus se présenter à Szeggedin pour y jouer leurs personnages.

Ils passèrent la nuit dans le bois, résolus à fuir ; leur entreprise était manquée. Ils savaient d’avance que, dès le lendemain, la nouvelle de leur présence se répandrait dans le pays avec la rapidité de la foudre. Il fallait mettre d’abord la Theiss entre eux et la croisade que leurs anciens méfaits prêchaient contre leur vie.

— Nous reviendrons plus tard ! avait dit William.

Et Bobby :

— Lénor sera ma femme : je la ferai veuve !

En arrivant à la lisière du bois, ils virent des ombres s’agiter au bord de l’eau. Ils avaient trop présumé en comptant sur ce délai d’une nuit. Déjà la croisade était en armes.

C’étaient deux hommes résolus, d’une force peu commune et d’une agilité infatigable : jeunes tous les deux et connaissant à fond la carte du pays. Ils tinrent conseil quelques minutes et se déterminèrent à prendre chasse pendant que l’obscurité pouvait protéger leur fuite ; le choix de la direction à suivre était important. Du moment que le passage de la Theiss leur était fermé, ils ne pouvaient plus que revenir sur leurs pas, vers Szeg-