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l’eau est blanche et qu’un petit minaret protège contre la poussière du chemin. L’eau de cette fontaine est sous la protection de saint Miklos et possède la vertu de guérir la folie.

Le petit vieillard était un bon père qui venait ainsi de la campagne d’Oten, charroyant son malheureux fils à petites journées. À les voir affligés comme ils étaient, tout le monde s’attendrissait au long de la route.

Nos ingénieurs français ont placé depuis ce temps-là quatre barres de fer parallèles, qui vont de Pesth à Belgrade, en passant par Szeggedin. Il suffit de quelques heures pour traverser ces plaines immenses comme la mer, où l’on voyageait pendant des semaines.

La dernière fois que j’ai vu Szeggedin, cet étrange village qui contiendrait tous les clochers réunis du pays de Beauce, il y avait un ancien élève de notre École polytechnique, qui était roi du pays. Il jetait en passant un pont de mille mètres sur la Theiss : un magnifique pont pour la voie ferrée. Les ingénieurs autrichiens venaient regarder les travaux, exécutés par une fourmillière humaine, où l’on aurait pu distinguer vingt races et qui parlait quinze langues.

Le pont sortait de l’eau, déjà appuyé sur ces grandes colonnes tabulaires, et je vis un appareil photographique qui braquait déjà sur les arches inachevées, l’œil rond de sa chambre noire. Notre civilisation est là.

Dieu veuille qu’elle n’y amène point avec elle nos impiétés, nos discordes, nos hontes et nos misères ! Ce que les hauts barons de notre féodalité matérialiste appellent le Progrès a des envers terribles, et certains peuples ont payé bien cher l’avantage douteux de voir leurs tribuns vivre en princes. Elle est assurément brillante la grande fête industrielle qui enivre et secoue la vieillesse du monde, mais elle recouvre une maladie profonde que chaque jour fait plus incurable, et je sais des esprits très éclairés, très « libéraux », très « avan-