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Le gros des convives s’était réuni dans ce vaste salon de verdure qui était la joie du paysage, et que le tracé du chemin de fer de Lyon a détruit. Monseigneur, qui, par sa naissance, était comte de Quélen, avait surtout une large parenté bretonne, il appartenait à tout ce qui s’alliait aux maisons ducales d’Aiguillon, de Chaulnes et de La Vauguyon ; il cousinait avec les Chateaubriant, les Rohan, les Dreux, les Guébriant, les La Bourdonnaye, les Coislin et les Goulaine. En réunissant les noms de ceux qui étaient au château, ce soir-là, on aurait pu reconstituer l’état-major de François de Bretagne, ou de la cour de la duchesse Anne.

Et voyez le mystérieux pouvoir de certains lieux ; dans ce cercle brillant et sous ces ombrages où tant de hautes questions théologiques avaient été débattues, depuis François de Harlay, fondateur du château de Conflans, jusqu’à M. de Talleyrand-Périgord, prédécesseur de l’archevêque actuel, on parlait précisément de brigands, de loups-garous et de fantômes. On racontait, je dois le dire, au grand amusement de ces dames et même de ces messieurs, les merveilleuses histoires de revenants, dont le théâtre était tout voisin. De l’esplanade où l’auditoire était réuni, les narrateurs pouvaient faire des effets, comme disent les orateurs et les comédiens, en montrant du doigt, dans diverses directions, les champs mêmes qui avaient servi de lieu de scène à ces drames surnaturels.

Il y avait, comme toujours, des croyants et des incrédules. Sous la Restauration, le faubourg Saint-Germain possédait, aussi bien que sous Louis XV, son petit coin philosophant, et nous savons plus d’un marquis d’alors, dont la vie se passait à singer tout doucement M. de Voltaire. Nos malheurs ont eu ce bon côté de mettre pareil ridicule à la porte, au moins en matière sérieuse.