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Pomme d’Amour, et dame Chantereine, que les ans avaient grossie abondamment et fleurie outre mesure, trônait, majestueuse, derrière son comptoir.

Maître Chantereine, qui avait pris tournure de citoyen paisible, prenait le frais sur le pas de sa porte en buvant à petites gorgées une tasse de vin cuit et regardant avec une somnolente indifférence le paysage nocturne qui lui faisait face. Nous disons paysage, car la lune, en se levant derrière les échafaudages d’une maison neuve, bâtie par le cardinal lui-même en conséquence de son contrat avec le marquis d’Estrées, dernier propriétaire du vieil hôtel de Mercœur, donnait de la largeur et de la physionomie aux décombres qui emplissaient le terrain et que surmontaient deux ou trois arbres, épargnés par le hasard : c’étaient des monceaux de pierre, des poutres, de hauts poteaux supportant des ponts de planches. À droite, la maison du marquis d’Estrées qui jamais ne devait être achevée, laissait passer les rayons de la lune par ses murailles à jour ; à gauche, une étroite échappée montrait la rue Saint-Honoré ; au fond, la masse du palais Cardinal s’élevait avec ses fenêtres sombres, et la grande lanterne suspendue au-dessus de sa porte latérale, alors connue sous le nom de Porte Le-Mercier.

Deux ou trois groupes de pages et laquais causaient et buvaient dans la salle commune du cabaret, qui contenait en outre des soldats et des petits bourgeois. Ce coquin de Mitraille, mélancolique et n’ayant devant soi ni chopine, ni gobe-