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Mélise était redevenue sérieuse.

— Parce que j’ai mon idée, répondit-elle, ma grande idée que je te laissais voir tout à l’heure. Mon raisonnement est bien clair. Je ne sais pas quel est le danger, je ne sais pas où est le danger, mais je sais qu’il y a danger, ou plutôt je le sens : un danger terrible sur ta mère et par conséquent sur toi. Ta mère s’efforce, je la sens combattre, je ne sais pas quelles sont ses armes. Le service rendu à la reine me donne de l’espoir, mais on dit que la reconnaissance n’est pas une vertu de cour. Hier, sais-tu quelle était la nouvelle ? Ce baron de Gondrin va partir pour le Rouergue, en qualité de lieutenant du roi. Là-bas, dans ces provinces reculées, un lieutenant de roi est un maître absolu. Eh bien ! moi, je connais trois hommes qui ne sont rien en apparence : l’un ne sait pas même le nom de son père : c’est Roger ; l’autre est le fils proscrit d’un père supplicié : c’est Gaëtan ; le troisième enfin est un étranger, isolé à Paris, sans alliances et sans influence, don Estéban, qu’on appelle le More. Ces hommes sont séparés, je dis trop peu, ils sont sur le point peut-être de s’entre-haïr. Je ne veux pas qu’ils se haïssent. J’ai confiance en chacun d’eux pris séparément, et il me semble que si je pouvais faire un faisceau de ces trois vaillantes épées…

— Projet d’enfant ! murmura Pola.

— J’ai quinze grands mois de plus que toi, chérie ! fit observer Mélise avec quelque orgueil.

— Que peuvent trois hommes ?

— Trois lions ! répliqua la fillette, trois ! dont